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Le
Mystère du Capital.
Imaginez un pays où personne ne pourrait savoir qui
est propriétaire de quoi, où l’on ne pourrait
s'assurer facilement d'une adresse, où on ne pourrait
forcer personne à payer ses dettes, où on aurait
toutes les peines du monde à convertir en argent un
bien matériel, où on ne pourrait pas diviser
en parts des titres de propriété et où
les règles qui régissent la propriété
changeraient d'un quartier à l'autre, voire d'une rue
à l'autre. Sans titre de propriété ou
devant la complexité à s’enregistrer de
manière légale, la majeure partie de la population
fixerait ses propres règles de fonctionnement (en termes
de sécurité, de crédit ou de caution),
favorisant ainsi l’extra-légalité et l’économie
informelle. Cette réalité existe, c’est
celle de nombreux pays en voie de développement.
Hernando de Soto, le fondateur de l’ILD (Institut pour
la Liberté et la Démocratie), tente depuis plus
de 20 ans d’intégrer l’économie
informelle dans la sphère légale. Voici l’histoire
de celui qui, selon beaucoup, lutte le plus efficacement contre
la pauvreté et, à ce titre, a été
élu par le Times Magazine l’une des 100 personnalités
les plus influentes de la planète.
Né en 1941 à Arequipa au Pérou, Hernando
de Soto émigre vers l’Europe dès l’âge
de 7 ans, parce que son père, un proche conseiller
du président en place est chassé par un coup
d’Etat d’extrême droite. Il poursuit ses
études d’économie à Genève,
sans pour autant perdre de vue la situation de son pays d’origine
puisque ses parents le poussent, lui et son frère,
à lire chaque jour les principaux quotidiens Péruviens
et à y retourner quelques semaines chaque année.
Brillant économiste, il débute sa carrière
au GATT (l’ancêtre de l’OMC) pour participer
aux âpres négociations internationales des Tokyo
et Kennedy Rounds. À 29 ans, alors qu’il s’apprête
enfin à rentrer au Pérou, on lui propose la
présidence d’une des plus grosses sociétés
européennes de conseil en ingénierie, et il
accepte.
Dix longues années plus tard, son rêve se concrétise
enfin et il rentre à Lima. Il devient Gouverneur de
la Banque Centrale Péruvienne et organise une grande
conférence sur les perspectives de développement
économique au Pérou, invitant des pointures
telles que Joseph Stiglitz*, Milton Friedman** ou Jean François
Revel***. Cette conférence va changer sa vie. Il prend
conscience que 90% des PME, 85% des transports urbains, 60%
de la flotte de pêche (l’une des plus importantes
au monde) et 60% des épiceries alimentaires de son
pays font partie du secteur informel.****
Surpris et bien décidé à agir pour inclure
ces pans de richesse nationale dans la légalité,
il arpente les bidonvilles chaque week-end, écoute
les témoignages de milliers de ses compatriotes et
crée un « think tank » dont le but va être
de trouver les solutions concrètes à ce problème
d'envergure. Il décide de fonder un minuscule atelier
de couture dans les bidonvilles de Lima et souhaite le faire
enregistrer auprès du gouvernement. Il découvre
que pour cela, il lui faut passer par des dizaines de pénibles
échelons administratifs, nécessitant 289 jours
de travail à temps plein à un coût 31
fois supérieur au salaire minimum mensuel. Pas étonnant
qu’une grande partie de la population opte pour l’extra-légalité
! Autre exemple en Egypte où c'est 90% de la population
qui possède son capital (appartements, maisons, petits
commerces, véhicules ou matériel) en dehors
de la loi. Celui-ci, évalué par les équipes
de l’ILD à 210 Milliards d’€ équivaut
à 55 fois le montant des investissements directs étrangers
reçus depuis 1950 ou à 30 fois la valeur de
toutes les sociétés existantes !
Mais le « coût de légalisation »
est aussi pour chaque Égyptien prohibitif. Il lui faut
2 ans pour enregistrer son affaire et 17 ans pour sa maison,
le privant ainsi de précieuses cautions ou hypothèques,
sésame indispensable au crédit, à la
création d’entreprises et aux mouvements de propriété.
« Loin d’être des marginaux que les élites
ou le gouvernement avaient cessé de considérer,
les pauvres de Lima ou du Caire portaient sur leurs dos leurs
économies Nationales ».
Pour « réveiller ce capital mort », Hernando
va mettre en place pendant les années 80, sous 3 présidents
dont il sera l’un des plus proches conseillers, plus
de 400 initiatives et lois pour moderniser l’économie
nationale. Il redessine le système de propriété
afin d’inclure 1,2 millions de familles et 380 000 sociétés
opérant auparavant au « marché noir ».
Ces réformes ont depuis permis d’augmenter la
Richesse Nationale de plus de 9 Milliards d’€.
Situé au-delà des clivages politiques de son
pays, il se fait cependant menacer de mort par le Sentier
Lumineux, groupuscule d’extrême gauche qui l’accuse
« d’être à la solde des Américains
et d’hypocritement détourner les pauvres de la
vraie Révolution ». Sa voiture et son domicile
sont plastiqués, des bombes explosent tuant et blessant
de nombreux collaborateurs de l’ILD. « C’est
à ce moment que j’ai compris la force et l’impact
de nos idées ».
Effrayé mais perséverant, il formule ses idées
dans de nombreux médias internationaux et publie deux
ouvrages : « L’Autre Sentier », et «
Le Mystère du Capital, pourquoi le capitalisme triomphe
en Occident et échoue partout ailleurs ». Best-sellers,
salués par la critique, ces ouvrages ont permis à
Hernando et ses équipes de travailler avec 35 autres
nations. Désormais sans cesse en déplacement
pour diffuser ses idées, il ne rencontre et ne conseille
que les Chefs d’Etat car eux seuls ont la marge de manœuvre
et la volonté de bousculer les statu quo.
« En visitant les pays en voie de développement,
ce que vous laissez derrière vous n'est pas le monde
high-tech des ordinateurs, de la télévision
par satellite ou du Viagra. Tout cela, les habitants du Caire
ou de Rio y ont accès. Non, ce que vous laissez derrière
vous, c'est un monde où la loi protège les transactions
sur les titres de propriété et où celles-ci
peuvent être utilisées comme caution pour entreprendre
». Hernando est le premier à avoir vu que les
plus pauvres sont laissés hors du système non
pas parce qu’ils le souhaitent mais bien parce que les
lois ne leur correspondent pas. Il dédie sa vie à
changer cela et « comme dans ma famille nous avons une
fâcheuse habitude à vivre vieux », il se
peut que dans 30 ans, il soit encore aux avant-postes de cette
surprenante révolution silencieuse.
* Joseph Stieglitz : Futur Economiste en Chef de la Banque
Mondiale.
** Milton Friedman : Prix Nobel d’Economie pour ses
travaux sur la Monnaie.
*** Jean-François Revel : Académicien &
Ecrivain à succès.
**** Source ILD
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