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"Vite,
Passons au plan B !"
L’homme que nous avons rencontré dans son appartement
de Washington est le gourou du mouvement écologique
mondial. Ce n’est pas nous qui le disons mais le journal
indien « Telegraph » de Calcutta. Et en matière
de gourou, je ne mettrai pas en doute le jugement d’un
indien. Et c’est vrai qu’une heure de discussion
avec Lester Brown ne peut laisser indifférent. Son
allure de grand-père sage et poli ne doit pas vous
tromper, c’est avec une intarissable énergie
que Brown appelle le Monde à engager un effort digne
de la seconde guerre mondiale pour l’adoption d’un
plan B (titre de son dernier livre), pour un monde plus juste
et plus respectueux de l’environnement.
Les premières amours de Lester Brown sont les tomates.
L’exploitation familiale à laquelle il s’attelle
avec son frère entre 15 et 25 ans fait naître
son intérêt pour les questions agricoles. Un
séjour de deux ans dans un village rural indien lui
fait prendre conscience des dangers pour l’agriculture
de la surpopulation et il sera le premier, dans les années
70, à s’inquiéter des conséquences
de la surexploitation de nos champs. Après un Master
à Harvard sur les questions liant agriculture et population,
il débute une carrière qui le conduira à
travailler sur ces questions au sein de nombreux organismes
gouvernementaux et instituts de recherche.
C’est lui le premier qui s’essaye à synthétiser
les grands enjeux environnementaux et sociaux globaux en créant
le Worlwatch Institute dont la qualité et la rigueur
des rapports annuels sur l’état de la planète
font l’unanimité auprès de la communauté
scientifique et environnementale depuis 30 ans.
Aujourd’hui à la tête de l’Earth
Policy Institute, il continue d’influencer ses lecteurs
pour changer le cap de la conduite du monde, son livre : «
Plan B, Sauver une Planète sous Stress et une Civilisation
en Danger » en est le dernier exemple.
Dans celui-ci, il dresse un portrait sans complaisance de
ce qu’il nomme le « plan A », c’est-à-dire
la conduite du monde telle qu’elle est opérée
aujourd’hui. Il dénonce la surexploitation du
capital terrestre par nos activités. Notre comportement
serait selon lui anti-économique si l’on appliquait
la même gestion au capital financier. Au lieu de nous
contenter de profiter des dividendes, nous puisons sans s’en
inquiéter dans le capital en coupant davantage d’arbres
qu’il n’en repousse, en surexploitant des terres
arables qui se désertifient, en pompant à l’excès
dans nos réserves d’eaux douces, qui ne se reforment
pas, et enfin en surexploitant les réserves de poissons
qui n’ont plus le temps de se reproduire.
C’est une vraie « bulle économique »
que Lester Brown décrit, qu’il compare à
une bulle financière et qui risque à tout moment
d’exploser si nous ne réduisons pas drastiquement
notre consommation de ressources.
Le premier et plus inquiétant terrain qu’a étudié
Lester Brown est celui de la sécurité alimentaire,
il nous décrit l’évolution des récoltes
chinoises de céréales. Après un pic de
récolte de 390 millions de Tonnes en 1998, les récoltes
sont retombés à 330 millions en 2003, et la
Chine a entamé ses propres réserves. Mais qu’adviendra-t-il
lorsqu’elle commencera à importer massivement
fort de son excédent commercial en US$ avec les Etats-Unis
?
Face à ces nombreuses inquiétudes, Lester Brown
lance un appel clair pour entamer des réformes urgentes
pour éviter le krach. Il faut stabiliser la population
en promouvant de petites familles et en généralisant
l’éducation des filles. Il faut aussi drastiquement
améliorer la productivité d’utilisation
en eau, en généralisant les systèmes
d’irrigation goutte-à-goutte. Il faut enfin prendre
conscience des coûts présents et à venir
du changement climatique et engager un vrai basculement fiscal,
en arrêtant de subventionner les énergies fossiles
au profit des prometteuses énergies renouvelables (notamment
éoliennes), mais plus généralement de
remplacer une philosophie de taxe sur le travail et le revenu
par un esprit de taxe sur l’exploitation de ressources
et la pollution.
Fort d’une vie d’observation des phénomènes
démographiques, naturels et écologiques, Lester
Brown nous fait prendre conscience que, plus que jamais, notre
civilisation a le choix (et le devoir) d’engager un
changement de cap que les générations futures
n’auront plus.
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