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La
Nature, meilleur labo de R&D ?
C’est au beau milieu des grands espaces encore légèrement
enneigés du Montana, près d’un petit lac
gelé que Janine Benyus nous a reçu pour nous
expliquer son parcours et le concept qui l’a rendu «
célèbre » (pas encore assez à notre
goût) de biomimicry.
Le cadre de vie et la personnalité de notre hôte
peuvent difficilement être plus fidèles l’un
à l’autre. Janine est biologiste de formation,
mais s’est aussi formée en littérature
anglaise et en sciences. Il ne fait rapidement aucun doute
que ce qui fait battre le cœur de cette jeune femme vive
et pétillante, c’est de mettre son nez dehors
à la moindre occasion pour observer, admirer, comprendre
et surtout apprendre de toute cette vie qui l’entoure.
La première activité de Janine fut d’écrire
des guides de randonneurs, dont l’approche était,
à l’époque, assez originale puisqu’ils
ne décrivaient pas les comportements de tel oiseau
ou tel mammifère, mais présentait un environnement,
un milieu en décrivant la vie et les interactions de
l’ensemble de la faune et de la flore de l’endroit…
Rien de révolutionnaire mais la collection de cinq
livres sortis sous ce format s’est bien vendue, ils
étaient les premiers du genre.
Mais c’est au début des années 90, que
Janine commence à rêver l’impossible. «
Et si notre espèce humaine, pour changer, devenait
un voisin agréable …» Pour cela, elle imagine
une stratégie insensée, démontrer aux
amoureux de la high tech, de l’innovation technique
et du dernier gadget à la mode qu’ils ont tout
à apprendre de la Nature. À celui qui travaille
sur la résistance des matériaux, elle va expliquer
que l’araignée est capable de tisser une soie
cinq fois plus résistante que l’acier, et arrive
à cette « prouesse » sans température
élevée (consommatrice d’énergie)
et sans émettre de dioxine… Le paon peut inspirer
l’architecte et le peintre car ses magnifiques couleurs
sont obtenues par la structure même de son plumage qui
reflète le soleil pour créer ces effets éblouissants…
Imaginez un mur qui n’ait pas besoin d’être
peint, c’est non seulement plus durable écologiquement
mais financièrement prometteur…
En 1994, elle trouve un éditeur qui lui donne 4 ans
pour approfondir le concept et écrire son livre. Elle
passe deux années entières à rencontrer
ingénieurs, designers, chercheurs et scientifiques
pour créer des ponts entre ce qu’ils cherchent
à faire et ce que la nature sait déjà
faire. Le livre est un énorme succès et modifie
pour de bon la mentalité hautaine de bon nombre d’
« inventeurs ».
Aux exemples du livre sorti en 1997, traduit en plusieurs
langues (la version française attend toujours un éditeur…),
vont venir s’ajouter tous ceux qui sont nés grâce
à la petite graine qu’a planté cette jeune
femme dans l’esprit des nombreux inventeurs et créatifs
qui composent son lectorat…
Et pour Janine il ne fait aucun doute qu’un ingénieur
inspiré par la Nature ne peut décemment imaginer
ensuite une technologie nocive. « 99% des espèces
ont disparu de la surface de la Terre par manque d’adaptation,
les hommes ont aujourd’hui un mode de vie qui n’est
clairement plus adapté…Il ne tient qu’à
nous d’imiter les façons de faire des 1% des
espèces animales et végétales qui ont
réussi à s’en sortir » Le raisonnement
est limpide, et part du constat que la révolution industrielle
nous a bercé dans une euphorie de toute puissance,
où nous avons oublié la dette que nous avions
vis-à-vis de notre première source d’inspiration,
la Nature.
Parmi ses nombreuses activités actuelles, Janine apprécie
particulièrement d’emmener des chercheurs ou
ingénieurs dans des endroits « magiques »
comme les Galapagos et d’observer leur moue sceptique
se transformer petit à petit en curiosité enfantine
lorsqu’ils découvrent les prouesses de tel ou
tel organisme. « Je suis le biologiste qui s’assoie
à la table des designers». La démarche
et l’inspiration qu’insuffle Janine à tous
ceux qui se donnent la peine de l’écouter ou
de la lire nous ont parues admirables par bien des aspects.
C’est un appel inespéré à plus
d’humilité de l’espèce humaine qui
montre que conservation et innovation peuvent aller de pair.
Espérons qu’il soit de plus en plus entendu !
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