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Le réseau HoneyBee, 36.000 idées pour un développement
plus soutenable.
Les innovations traditionnelles respectueuses de l’environnement,
sans doute plus lentes et moins impressionnantes que les gadgets
high tech ont depuis longtemps été méprisées.
Pourtant, Anil Gupta, un professeur indien volontaire et pragmatique
ne cesse d’affirmer que seul ce savoir peut permettre
d’atteindre un développement réellement
durable. Voici comment nous avons découvert celui que
le Times of India a qualifié d’homme «
susceptible de changer l’Asie ».
Fils d’un humble instituteur de l’Uttar Pradesh,
Anil a grandi dans un petit village nommé Gandahar,
proche de la frontière Népalaise. Après
de brillantes études de génétique à
l’Université Agricole de Delhi, il se lance,
un peu par dépit mais surtout afin d’aider son
père au crépuscule de sa vie, dans une carrière
de banquier.
Cinq longues années passent avant qu’il ne s’engage
dans l’Administration Indienne pour tenter de dynamiser
le réseau bancaire dans les régions les plus
reculées et défavorisées du sous-continent.
Cela le mène, à 28 ans, à réaliser
une étude de terrain auprès des fermiers les
plus pauvres du Sud de l’Inde. C’est au cours
de ces longs mois en contact intense avec ces « victimes
du système » qu’il développe la
conviction que le savoir traditionnel des villages indiens
est une richesse considérable qu’il est essentiel
de commencer à valoriser.
Quatre années plus tard, il est invité par un
collègue à passer une année d’étude
dans le Bangladesh rural auprès des "sans terres",
une des populations les plus pauvres du monde. Impressionné
par leur bon sens et leur créativité pour survivre
quotidiennement, il prend conscience que leur extrême
pauvreté matérielle et économique peut
être compensée par leur richesse en savoir traditionnel.
Brillant universitaire, il écrit et vend ses publications
sur le sujet, non sans un certain succès.
De retour en Inde où il accepte un poste de professeur
dans le prestigieux Institut de Management d’AhmedAbad,
il commence à développer un sentiment de culpabilité
à propos de la richesse que lui a apportée cette
étude. « C’était comme tirer profit
de l’ingéniosité des plus pauvres, à
mon avantage et seulement à mon avantage » nous
dira-t-il. Rongé par cette idée, il va mettre
quelques mois à changer d’existence. Cette conversion
« psychologique, philosophique et même spirituelle
» va l’amener à créer en 1989, avec
quelques fidèles, le réseau HoneyBee.
L’objectif de celui-ci est de collecter, faire fructifier
et diffuser les innovations pratiques des populations traditionnelles
indiennes dans l’idée de créer un monde
plus durable. Seules sont retenues, à travers d’annuelles
compétitions nationales, les innovations « vertes
» et non dangereuses pour l’environnement.
Par exemple, des bio-pesticides utilisés dans une région
de l’Inde ont ainsi été introduits dans
d’autres états, un ingénieux système
de blocage de poulies a été développé
pour éviter de faire tomber les seaux au fond des puits,
un kit pour construire un four fonctionnant à l’énergie
solaire a été inventé… Ainsi, ce
ne sont pas moins de 36 000 idées, souvent très
simples, pleines de bon sens et faciles à répliquer
que le réseau a collecté dans une base de donnée
unique au monde. La diffusion se faisant grâce à
des newsletters traduites dans plus de 12 langues (hindi,
ourdou, tamoul, râjasthâni…) et grâce
aux antennes sur le terrain.
Construit pour que ce transfert de connaissance ne se fasse
pas au détriment de l’inventeur (d’où
le nom HoneyBee, de l’abeille qui se sert du pollen
pour faire son miel sans appauvrir la fleur), l’étape
suivante fut, dans un premier temps, de mettre en contact
les inventeurs, très souvent de simples fermiers, avec
des investisseurs. Ainsi, ces bonnes pratiques innovantes
avaient une chance de se diffuser auprès du plus grand
nombre.
Puis, devant le succès du réseau au niveau national,
Anil Gupta a fait pression auprès du gouvernement central
indien pour accroître le domaine public des brevets
d’innovations « traditionnelles » afin que
le gouvernement paye lui-même une compensation à
l’inventeur. Alors, le concept peut être disséminé
à moindre coût (sans « royalties »
à verser), dans l’intérêt de ceux
qui ont besoin.
Passionné et toujours à la recherche de nouvelles
idées pour « rendre le monde meilleur »,
Anil Gupta est aussi un grand amateur de longues marches qui,
selon lui, libèrent l’esprit des tracas quotidiens
et l’aide à aller de l’avant. C’est
lors d’une de celle-ci, l’année dernière,
que son dernier « rêve » lui est apparu.
Les jeunes en difficulté, en conflit avec la société
et que les événements de la vie ont rendu plus
à l’écoute des terroristes, veulent parfois
détruire ce monde. Et bien, il affirme, sans ambages,
que ces mêmes jeunes ont l’énergie d’en
reconstruire un plus humain et que pour cela, il suffit de
les canaliser. Que cette sagesse indienne nous donne à
méditer…
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