Anil
K. Gupta - AhmedAbad (Gujarat/Inde) - 25 Septembre 2003
Le réseau HoneyBee,
36.000 idées pour un développement plus soutenable.
Les innovations
traditionnelles respectueuses de l’environnement, sans doute plus lentes
et moins impressionnantes que les gadgets high tech ont depuis longtemps été
méprisées. Pourtant, Anil Gupta, un professeur indien volontaire
et pragmatique ne cesse d’affirmer que seul ce savoir peut permettre
d’atteindre un développement réellement durable. Voici
comment nous avons découvert celui que le Times of India a qualifié
d’homme « susceptible de changer l’Asie ».
Fils d’un humble instituteur de l’Uttar Pradesh, Anil a grandi
dans un petit village nommé Gandahar, proche de la frontière
Népalaise. Après de brillantes études de génétique
à l’Université Agricole de Delhi, il se lance, un peu
par dépit mais surtout afin d’aider son père au crépuscule
de sa vie, dans une carrière de banquier.
Cinq longues années passent avant qu’il ne s’engage dans
l’Administration Indienne pour tenter de dynamiser le réseau
bancaire dans les régions les plus reculées et défavorisées
du sous-continent. Cela le mène, à 28 ans, à réaliser
une étude de terrain auprès des fermiers les plus pauvres du
Sud de l’Inde. C’est au cours de ces longs mois en contact intense
avec ces « victimes du système » qu’il développe
la conviction que le savoir traditionnel des villages indiens est une richesse
considérable qu’il est essentiel de commencer à valoriser.
Quatre années plus tard, il est invité par un collègue
à passer une année d’étude dans le Bangladesh rural
auprès des "sans terres", une des populations les plus pauvres
du monde. Impressionné par leur bon sens et leur créativité
pour survivre quotidiennement, il prend conscience que leur extrême
pauvreté matérielle et économique peut être compensée
par leur richesse en savoir traditionnel. Brillant universitaire, il écrit
et vend ses publications sur le sujet, non sans un certain succès.
De retour en Inde où il accepte un poste de professeur dans le prestigieux
Institut de Management d’AhmedAbad, il commence à développer
un sentiment de culpabilité à propos de la richesse que lui
a apportée cette étude. « C’était comme tirer
profit de l’ingéniosité des plus pauvres, à mon
avantage et seulement à mon avantage » nous dira-t-il. Rongé
par cette idée, il va mettre quelques mois à changer d’existence.
Cette conversion « psychologique, philosophique et même spirituelle
» va l’amener à créer en 1989, avec quelques fidèles,
le réseau HoneyBee.
L’objectif de celui-ci est de collecter, faire fructifier et diffuser
les innovations pratiques des populations traditionnelles indiennes dans l’idée
de créer un monde plus durable. Seules sont retenues, à travers
d’annuelles compétitions nationales, les innovations «
vertes » et non dangereuses pour l’environnement.
Par exemple, des bio-pesticides utilisés dans une région de
l’Inde ont ainsi été introduits dans d’autres états,
un ingénieux système de blocage de poulies a été
développé pour éviter de faire tomber les seaux au fond
des puits, un kit pour construire un four fonctionnant à l’énergie
solaire a été inventé… Ainsi, ce ne sont pas moins
de 36 000 idées, souvent très simples, pleines de bon sens et
faciles à répliquer que le réseau a collecté dans
une base de donnée unique au monde. La diffusion se faisant grâce
à des newsletters traduites dans plus de 12 langues (hindi, ourdou,
tamoul, râjasthâni…) et grâce aux antennes sur le
terrain.
Construit pour que ce transfert de connaissance ne se fasse pas au détriment
de l’inventeur (d’où le nom HoneyBee, de l’abeille
qui se sert du pollen pour faire son miel sans appauvrir la fleur), l’étape
suivante fut, dans un premier temps, de mettre en contact les inventeurs,
très souvent de simples fermiers, avec des investisseurs. Ainsi, ces
bonnes pratiques innovantes avaient une chance de se diffuser auprès
du plus grand nombre.
Puis, devant le succès du réseau au niveau national, Anil Gupta
a fait pression auprès du gouvernement central indien pour accroître
le domaine public des brevets d’innovations « traditionnelles
» afin que le gouvernement paye lui-même une compensation à
l’inventeur. Alors, le concept peut être disséminé
à moindre coût (sans « royalties » à verser),
dans l’intérêt de ceux qui ont besoin.
Passionné et toujours à la recherche de nouvelles idées
pour « rendre le monde meilleur », Anil Gupta est aussi un grand
amateur de longues marches qui, selon lui, libèrent l’esprit
des tracas quotidiens et l’aide à aller de l’avant. C’est
lors d’une de celle-ci, l’année dernière, que son
dernier « rêve » lui est apparu. Les jeunes en difficulté,
en conflit avec la société et que les événements
de la vie ont rendu plus à l’écoute des terroristes, veulent
parfois détruire ce monde. Et bien, il affirme, sans ambages, que ces
mêmes jeunes ont l’énergie d’en reconstruire un plus
humain et que pour cela, il suffit de les canaliser. Que cette sagesse indienne
nous donne à méditer…
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