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Toxics
Link, "l'avenir des déchets en Inde, c'est leur
disparition".
Aborder notre exploration de l’Inde ne pouvait débuter
mieux qu’en rencontrant un personnage comme Ravi Agarwal.
Cet activiste spécialisé sur les questions de
déchets, dont l’organisation, Toxics Link anime
un réseau d’information à travers tout
le pays, nous a fait apprécier ce que l’Inde
peut représenter de pire et de meilleur sur les questions
environnementales. L’état de pollution du pays
est alarmant d’un côté, mais la capacité
de mobilisation et d’engagement de la société
« fille » de Gandhi reste étonnante dans
ce qu’elle permet d’accomplir.
Ravi appartient à la classe moyenne indienne, formé
dans l’une des meilleures école d’Ingénieurs
d’Inde, il a durant les années 80 mené
une carrière très classique d’ingénieur.
La seule touche d’originalité étant son
tempérament d’entrepreneur qui l’a poussé
à créer sa propre start-up de conseil en informatique.
Travaillant 15 heures par jour, cette société
prospérait au début des années 90 et
comptait une soixantaine d’employés.
« Je ne veux pas finir ma vie en faisant cela ».
Voilà ce que s’est dit Ravi à cette époque,
non pas qu’on ne puisse être heureux avec une
telle situation mais pour ce passionné de photographie,
amoureux inconditionnel des oiseaux, la passion était
ailleurs…
Le déclic se produit en 1992, lorsqu’un projet
immobilier menaçant une forêt séculaire
de Delhi le fait bondir. Très rapidement il se retrouve
à la tête d’une campagne réclamant
à la Cour Suprême Indienne d’empêcher
ce massacre et activant un réseau de pas moins de 13
ONG. Dans cette campagne, Ravi va s’épanouir
pleinement, sa maîtrise parfaite de l’Anglais
et son passé d’ingénieur sont fort utiles
dans une campagne sous financée mais animée
par des activistes passionnés.
Ces deux années de combat intense, jalonnées
de manifestations, de procédures juridiques complexes
et de campagnes de presse nationales vont changer radicalement
la vie de Ravi. Premier changement, son compte en banque ne
fait plus le bonheur de son banquier et dans son entourage,
alors que la moitié de ses amis comprennent et que
sa famille soutient sans forcément comprendre, il divorce.
Mais rien n’altère sa motivation et en 1995 le
combat finit par être remporté par un jugement
de la Cour Suprême. Et comme pour parfaire ce tournant
radical, Ravi Agarwal voit ses photos exposées pour
la première fois dans une galerie à Delhi, deuxième
succès de l’année. La campagne l’a
amené à se rendre compte que le problème
des déchets, en particulier ceux toxiques des hôpitaux
n’est abordé par personne… Et il décide
avec l’équipe de la campagne de commencer des
recherches sur le sujet.
Après deux années de travail bénévole
intense qui occupe tout son temps, un livre blanc est édité
et publié. Coup de chance du destin, en 1996, la Cour
Suprême Indienne décide classifier le problème
des déchets toxiques d’hôpitaux comme prioritaire
et le livre blanc constitue la base des recommandations qui
vont modifier du tout au tout les pratiques des hôpitaux
à travers le pays. Diminution des déchets, stérilisation
du matériel médical utilisé, recyclage,
tri précautionneux en impliquant les personnels, toutes
les recommandations de travaux de Ravi et de ses équipes
seront reprises dans la loi de 1998.
Depuis de nombreux autres combats ont été gagnés,
comme l’interdiction d’importer des déchets
toxiques en Inde. Mais de nombreuses batailles restent engagées,
et malgré des financements (entièrement publics
ou issus de fondations) que Ravi qualifie lui-même de
largement suffisant, la partie n’est pas toujours facile.
Les problèmes d’amiante, le mirage du concept
de production d’énergie issue de l’incinération
des déchets qui ne résout rien et n’est
pas rentable, ou encore la contamination de la production
alimentaire par l’excès de pesticides dans les
sols, la tache est immense pour le réseau Toxics Link.
Aujourd’hui, Ravi Agarwal donne le sentiment d’être
un homme heureux. Et même s’il travaille 18h par
jour et vit seul dans un appartement spartiate, il conclut
avec malice que nombre de ses camarades de promotion, aujourd’hui
tous présidents ou directeurs de grandes entreprises,
regardent en arrière avec un peu d'amertume et considère
son parcours personnel avec envie.
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