Jaime Lerner - Curitiba (Brésil) - 24 Mai 2004

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L'Acupuncteur Urbain


Tous les analystes s’accordent à le dire, le siècle qui commence sera urbain et verra la moitié de la population mondiale vivre en ville… Si cette évolution fait peur à beaucoup de monde, Jaime Lerner, ancien maire de Curitiba, une ville du Sud du Brésil, fait partie des rares qui cherchent à prouver que « La ville n’est pas le problème, c’est la solution ». Rencontre avec une architecte passionné de la ville du futur, une ville solidaire et agréable.

Lorsqu’au milieu des années 60, Jaime Lerner termine ses études d'architecture, Curitiba est loin d’être devenue la mégalopole qu’elle est aujourd’hui avec plus de 1,5 millions d’habitants, trois fois plus que trente ans auparavant. Pourtant l’étudiant Jaime est déjà amer face à l’évolution de sa ville. Il craint que le développement excessif n’anéantisse la mémoire du lieu, que le Déesse Automobile soit consacrée sur les ruines de ce qui fait l’âme de la ville. Mais son premier engagement est un échec, il décide de répondre à un appel d’offres de la ville avec un groupe d’amis étudiants, mais perd le contrat au profit d’une multinationale française. Il n’en tient rigueur ni à la mairie ni aux français (on peut en témoigner….) et décide de capitaliser sur ces travaux pour monter le premier Institut de Planification Urbaine de la ville qui va alimenter par ses travaux la réflexion des décideurs de la préfecture. Au début des années 70, le Brésil n’est pas encore la démocratie qu’elle est aujourd’hui et les maires sont nommés et sans réel pouvoir. C’est par ce biais qu’en 1971, il devient pour la première fois maire de la ville de Curitiba, à seulement 33 ans et sans avoir gagné d’élections.

L’équipe qu’il met en place autour de lui est dans ses propres termes, une bande de « jeunes idéalistes », très créatifs et sans idées préconçues… Très vite leurs idées dérangent, mais ils bénéficient d’un fort soutien de la population. Dans tout un tas de domaines, ils vont imaginer des solutions innovantes en faisant adhérer la population à leurs projets à force d’explication et en ne se laissant pas décourager par les « vendeurs de complexité » qui vous expliquent pourquoi on ne peut rien faire…

Ce premier mandat s’achève trop tôt en 1975, Jaime n’est pas encore attiré par la politique dans un pays où les élections ne sont pas libres et décide de revenir à ses premières amours, l’architecture. Il revient au pouvoir en 1979, cette fois-ci élu, fort de la popularité qu’il avait acquise lors de son précédent passage et va pouvoir, comme il l’entend, mettre en place toutes les idées qu’il avait imaginées.

« N’importe quelle ville peut être changée en moins de 2 ans ! » affirme Jaime sans ciller. Il faut une forte volonté politique, beaucoup de créativité et un bon sens de la communication pour que la population comprenne et adhère à vos projets. Jaime se considère comme un "acupuncteur urbain", qui, ayant identifié les centres nerveux de la cité, va les revitaliser avec la précision d'une aiguille...

Et les projets de Jaime pour sa ville sont nombreux… Pour le transport public, alors que tout le monde lui vend une solution de métro urbain ultra technologique, il mise sur un réseau de bus en partenariat avec le privé pour un coût 200 fois moindre au kilomètre. Mais, son modèle est astucieux, il ne va pas financer les sociétés de bus en fonction du nombre de passagers, mais au kilomètre parcouru, ce qui permet de déployer un réseau vaste et de bonne qualité. Grâce à une idée astucieuse de transformer chaque ticket de bus en billet de lotterie, ce sont désormais trois habitants sur quatre qui utilisent les transports en commun (plus d’1,5 Millions de passagers par jour). Par conséquent, la consommation de carburant par habitant est 25% moindre que la moyenne du pays, et les sociétés de bus, aujourd’hui rentables , n’ont plus besoin de subventions. Tout le monde y a gagné.

Pour le problème de la gestion des déchets, là aussi, Jaime ne s’est pas laissé influencer par les propositions d’installation d'usines modernes de tri automatisé des déchets, mais a préféré lancer une grande campagne participative de tri dans les foyers. Le succès est étonnant, aujourd’hui plus de 70% de la population trie ses déchets et économise ainsi des sommes considérables à la ville. Même les populations pauvres des favelas participent grâce au programme d’échange « déchets contre nourriture ». Pour dépolluer les rivières, le même raisonnement a été appliqué puisque la ville a proposé aux pêcheurs de leur racheter les déchets qui se prennent dans leur filet. Les lieux ont ainsi été dépollués à moindre coût, et les revenus des familles pauvres de pécheurs ont triplé.

La ville a aussi créé 360 crèches et 120 hôpitaux ou services d’urgence dont certains sont gratuits et ouverts 24h/24. Le nombre d'espaces verts a considérablement augmenté, plus d'un million d'arbres ont été plantés, avec l'aide des habitants. "La municipalité vous offre de l'ombre, vous offrez de l'eau" et tout le monde s'est mis à arroser...La population a, de manière continue, soutenu son maire Jaime Lerner dans ses réformes à tel point qu’en 1988, Jaime a été élu une troisième fois en n’étant entré dans la campagne que 12 jours avant les élections. Après avoir été élu deux fois gouverneur de l’état du Parana, Jaime Lerner est aujourd’hui président de l’Union International des Architectes, ce qui lui donne l’occasion de voyager et de démocratiser sa vision de la ville du futur. Et lorsqu’on l’interroge sur les grands enjeux qui menacent la planète, il a une fois de plus, une réponse des plus pragmatiques : « Commencez par deux choses, triez vos déchets et utilisez moins votre voiture… ».


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Pour en savoir + :

Le site de l'Union Internationale des Architectes.