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L'Acupuncteur
Urbain
Tous les analystes s’accordent à le dire, le
siècle qui commence sera urbain et verra la moitié
de la population mondiale vivre en ville… Si cette évolution
fait peur à beaucoup de monde, Jaime Lerner, ancien
maire de Curitiba, une ville du Sud du Brésil, fait
partie des rares qui cherchent à prouver que «
La ville n’est pas le problème, c’est la
solution ». Rencontre avec une architecte passionné
de la ville du futur, une ville solidaire et agréable.
Lorsqu’au milieu des années 60, Jaime Lerner
termine ses études d'architecture, Curitiba est loin
d’être devenue la mégalopole qu’elle
est aujourd’hui avec plus de 1,5 millions d’habitants,
trois fois plus que trente ans auparavant. Pourtant l’étudiant
Jaime est déjà amer face à l’évolution
de sa ville. Il craint que le développement excessif
n’anéantisse la mémoire du lieu, que le
Déesse Automobile soit consacrée sur les ruines
de ce qui fait l’âme de la ville. Mais son premier
engagement est un échec, il décide de répondre
à un appel d’offres de la ville avec un groupe
d’amis étudiants, mais perd le contrat au profit
d’une multinationale française. Il n’en
tient rigueur ni à la mairie ni aux français
(on peut en témoigner….) et décide de
capitaliser sur ces travaux pour monter le premier Institut
de Planification Urbaine de la ville qui va alimenter par
ses travaux la réflexion des décideurs de la
préfecture. Au début des années 70, le
Brésil n’est pas encore la démocratie
qu’elle est aujourd’hui et les maires sont nommés
et sans réel pouvoir. C’est par ce biais qu’en
1971, il devient pour la première fois maire de la
ville de Curitiba, à seulement 33 ans et sans avoir
gagné d’élections.
L’équipe qu’il met en place autour de lui
est dans ses propres termes, une bande de « jeunes idéalistes
», très créatifs et sans idées
préconçues… Très vite leurs idées
dérangent, mais ils bénéficient d’un
fort soutien de la population. Dans tout un tas de domaines,
ils vont imaginer des solutions innovantes en faisant adhérer
la population à leurs projets à force d’explication
et en ne se laissant pas décourager par les «
vendeurs de complexité » qui vous expliquent
pourquoi on ne peut rien faire…
Ce premier mandat s’achève trop tôt en
1975, Jaime n’est pas encore attiré par la politique
dans un pays où les élections ne sont pas libres
et décide de revenir à ses premières
amours, l’architecture. Il revient au pouvoir en 1979,
cette fois-ci élu, fort de la popularité qu’il
avait acquise lors de son précédent passage
et va pouvoir, comme il l’entend, mettre en place toutes
les idées qu’il avait imaginées.
« N’importe quelle ville peut être changée
en moins de 2 ans ! » affirme Jaime sans ciller. Il
faut une forte volonté politique, beaucoup de créativité
et un bon sens de la communication pour que la population
comprenne et adhère à vos projets. Jaime se
considère comme un "acupuncteur urbain",
qui, ayant identifié les centres nerveux de la cité,
va les revitaliser avec la précision d'une aiguille...
Et les projets de Jaime pour sa ville sont nombreux…
Pour le transport public, alors que tout le monde lui vend
une solution de métro urbain ultra technologique, il
mise sur un réseau de bus en partenariat avec le privé
pour un coût 200 fois moindre au kilomètre. Mais,
son modèle est astucieux, il ne va pas financer les
sociétés de bus en fonction du nombre de passagers,
mais au kilomètre parcouru, ce qui permet de déployer
un réseau vaste et de bonne qualité. Grâce
à une idée astucieuse de transformer chaque
ticket de bus en billet de lotterie, ce sont désormais
trois habitants sur quatre qui utilisent les transports en
commun (plus d’1,5 Millions de passagers par jour).
Par conséquent, la consommation de carburant par habitant
est 25% moindre que la moyenne du pays, et les sociétés
de bus, aujourd’hui rentables , n’ont plus besoin
de subventions. Tout le monde y a gagné.
Pour le problème de la gestion des déchets,
là aussi, Jaime ne s’est pas laissé influencer
par les propositions d’installation d'usines modernes
de tri automatisé des déchets, mais a préféré
lancer une grande campagne participative de tri dans les foyers.
Le succès est étonnant, aujourd’hui plus
de 70% de la population trie ses déchets et économise
ainsi des sommes considérables à la ville. Même
les populations pauvres des favelas participent grâce
au programme d’échange « déchets
contre nourriture ». Pour dépolluer les rivières,
le même raisonnement a été appliqué
puisque la ville a proposé aux pêcheurs de leur
racheter les déchets qui se prennent dans leur filet.
Les lieux ont ainsi été dépollués
à moindre coût, et les revenus des familles pauvres
de pécheurs ont triplé.
La ville a aussi créé 360 crèches et
120 hôpitaux ou services d’urgence dont certains
sont gratuits et ouverts 24h/24. Le nombre d'espaces verts
a considérablement augmenté, plus d'un million
d'arbres ont été plantés, avec l'aide
des habitants. "La municipalité vous offre de
l'ombre, vous offrez de l'eau" et tout le monde s'est
mis à arroser...La population a, de manière
continue, soutenu son maire Jaime Lerner dans ses réformes
à tel point qu’en 1988, Jaime a été
élu une troisième fois en n’étant
entré dans la campagne que 12 jours avant les élections.
Après avoir été élu deux fois
gouverneur de l’état du Parana, Jaime Lerner
est aujourd’hui président de l’Union International
des Architectes, ce qui lui donne l’occasion de voyager
et de démocratiser sa vision de la ville du futur.
Et lorsqu’on l’interroge sur les grands enjeux
qui menacent la planète, il a une fois de plus, une
réponse des plus pragmatiques : « Commencez par
deux choses, triez vos déchets et utilisez moins votre
voiture… ».
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