Rodrigo Baggio - Rio de Janeiro (Brésil) - 16 Mai 2004

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L'informaticien citoyen


La première rencontre avec Rodrigo Baggio est toujours impressionnante. Il mesure près de 2 mètres, mais son sourire, large et franc, nous met tout de suite à l’aise. Ce jeune homme actif est chaleureux et pressé par le temps, il n’en a pas perdu beaucoup. À seulement 34 ans, il est à la tête d’une des initiatives les plus remarquables en matière de lutte contre l’exclusion digitale.

Fils d’un cadre d’IBM, Rodrigo est né dans un milieu qui n’a rien à voir avec les favelas, zones de pauvreté et d’exclusion qui jalonnent les grandes villes brésiliennes. Pour autant, à 12 ans, il commence à s’engager dans des mouvements de jeunesse et consacre un peu de son temps pour aider des jeunes moins favorisés. C’est aussi à 12 ans qu’il se découvre une deuxième passion, l’informatique, son père lui offre l’un des tout premiers ordinateurs à usage personnel, sans doute l’un des tout premiers au Brésil. Rodrigo nous avoue que son adolescence s’est résumée à cela. Il a consacré tout son temps à son engagement social et à l’informatique. Très bon programmeur, il quitte rapidement l’école pour rejoindre les rangs d’une société américaine pour travailler sur de complexes programmes d’intelligence artificielle. Parallèlement, il rejoint une Faculté en sciences sociales, puis crée sa propre société d’édition de logiciels.

À 23 ans, Rodrigo est une icône de réussite, il est jeune, riche, possède un bateau pour explorer la baie de Rio. « Mais, nous avoue-t-il, cette réussite ne me semblait pas complète, j’avais réussi sans m’être réalisé… ». Il fait alors un rêve qui lui remet ses aspirations d’adolescent en mémoire, celui d’un groupe de jeunes discutant de leurs problèmes grâce à l’outil informatique. Nous sommes en 1993, l’Internet est loin de s’être vulgarisé. « Je me suis surtout vu âgé de 80 ans en train de me dire que j’aurais peut-être dû… ». Plus aucun doute, Rodrigo va rééquilibrer son emploi du temps pour tenter d’accomplir ce rêve. Il crée en 1994, le premier lieu virtuel (sur Internet) pour que des jeunes puissent discuter des sujets de société qui les touchent. Mais rapidement, il constate que son modèle exclue les jeunes qui en ont le plus besoin, car il leur manque l’outil, l’ordinateur.

Il décide donc de lancer la première campagne nationale de récupération de matériel informatique et crée la première école d’informatique dans une favela en association avec une petite ONG et une paroisse. Il en est le premier professeur avec l’idée de former de futurs éducateurs pour démultiplier le modèle. Bien que passionné des nouvelles technologies, Rodrigo n’en reste pas moins conscient qu’il s’agit d’un outil et donne pour objectif à ses écoles de traiter de sujet de citoyenneté et de se servir de l’informatique pour agir. L’inauguration de la première école en 1995, est un succès médiatique tel (« effet de mode oblige » reconnaît Rodrigo) que plus de 70 volontaires se proposent pour créer et animer d’autres écoles.

Le modèle se réplique facilement, une école est toujours montée en partenariat avec une association locale, une ONG, une paroisse ou une coopérative. Le matériel est fourni par CDI (Comité pour la Démocratisation Informatique l’organisation créée par Rodrigo) et les élèves sont appelés à contribution pour payer le salaire des professeurs. La somme est symbolique (entre 2 et 4 euros), et peut être remplacée par une heure ou deux de coups de balais hebdomadaires. Le prix permet surtout une réelle appropriation des élèves de leur école. Enseigner dans les favelas n’est pas évident ; Rodrigo ne place plus d’ordinateurs près des fenêtres depuis qu’il s’est retrouvé couché sur le sol avec ses élèves lors d’une fusillade. Mais malgré cela, aucune des écoles créée n’a jamais souffert de vols. Et il y a aujourd’hui plus de 800 centres au Brésil et dans toute l’Amérique Latine qui vu passé plus de 600 000 jeunes depuis 10 ans.

Les élèves sont extrêmement assidus pour plusieurs raisons, d’abord parce que l’école est un lieu où ils peuvent débattre, effectuer des recherches et agir. De nombreuses campagnes de sensibilisation sont nées dans les écoles de CDI sur des sujets comme la santé, l’éducation ou l’environnement. Pour Rodrigo « le meilleur moyen d’apprendre un traitement de texte est de réaliser soi-même un journal, et lorsque le sujet est la violence, l’élève s’approprie autant l’outil que le message. »

Mais la principale raison pour les étudiants dont la majorité a entre 10 et 18 ans, et dont 63 % sont en situation de pauvreté extrême, c’est d’acquérir des compétences pour trouver un emploi. D’après les enquêtes de CDI, 87% des élèves de CDI ont connu un changement positif grâce aux cours, que ce soit l’obtention d’un emploi, le retour à l’école ou l’éloignement de la délinquance.

Aujourd’hui Rodrigo Baggio est un entrepreneur social accompli et heureux, il parle de « franchise sociale » pour étendre encore son modèle et vient de signer un partenariat avec YMCA, le réseau d’auberges de jeunesse internationale pour s’implanter en Afrique. Voilà un ambitieux dont nous souhaitons la réussite !


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