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La
Mère de la Sierra Gorda
La vie de Martha Isabel Ruiz Corzo, que tout le monde surnomme
« Pati » est l’exemple d’un rêve
que beaucoup caressent sans jamais oser l’accomplir,
un changement radical de modèles et de valeurs, un
retour violent et salvateur aux sources. Jusqu´à
l’âge de trente ans, Pati est un élément
exemplaire de la société bourgeoise et bien
pensante de la ville de Querétaro. Mariée à
un mari aimant, mère de deux enfants studieux, elle
enseigne le chant, la musique et l’art à des
enfants d’âge divers et est membre de l’Orchestre
de Chambre de la ville en tant que premier violon. Sa vie
mondaine est active et festive, mais un grain de sable vient
enrayer la machine de cette jolie locomotive du bonheur…
Le deuxième fils de Pati souffre de graves problèmes
respiratoires, et elle-même commence à ne plus
supporter physiquement l’atmosphère de Querétaro.
Les recommandations du médecin sont radicales, il faut
empêcher Mario, qui a 7 ans, de nager, de manger, de
courir, « de vivre » pense alors Pati. Le choix
qu’elle s’apprête à faire, avec son
mari, est aussi radical. Ils vont tout quitter pour aller
vivre dans la verdure de la Sierra Gorda, pour se reconnecter
avec la Nature, retrouver le goût d’une alimentation
saine, d’un air pur, d’une vie simple et équilibrée
en sortant d’un système qu’ils ne supportent
plus. Dés lors, Pati et son mari ne se soucient plus
de la santé de leurs enfants, et ils ne seront plus
jamais malades. Pati devient leur professeur le matin et s’implique
dans la vie communautaire l’après-midi. Une nouvelle
vie commence.
La situation que découvre la famille de Pati est alarmante.
Cette vaste forêt humide fertile est un territoire exceptionnel
par sa diversité avec des altitudes variant de 300
à plus de 3,100 mètres et hébergeant
des centaines d’espèces animales et végétales.
Mais les menaces sont nombreuses, principalement expliquées
par la situation difficile des populations locales, 100 000
personnes dont le niveau de pauvreté est un des plus
inquiétants du pays. Repartis dans plus de 600 communautés,
Pati constate alors que par inconscience ou par nécessité,
les habitants détruisent petit à petit leur
terre. La récolte de bois pour la cuisson des aliments
et le chauffage est un exemple des pratiques qui expliquent
que près de 6 000 hectares de forêt disparaissent
chaque année, entraînant une érosion des
sols vertigineuse et une chute des réserves en eaux,
La gestion des déchets est aussi catastrophique et
cause de graves problèmes de pollution.
Face à cet immense défi, Pati décide
d’attaquer en même temps sur tous les fronts,
il faut d’abord organiser un programme de restauration
de la terre, puis se donner les moyens d’éduquer
les habitants de la région et enfin leur permettre
de renforcer leur vie communautaire de manière autonome.
Mais pour cela, elle ne dispose d’aucuns moyens financiers,
ce sont donc son énergie et sa détermination
qui seront ses principales ressources. Pour replanter des
arbres, elle en appelle aux volontaires et, depuis 12 ans,
ce sont plus de 23 000 citoyens qui ont participé à
un large programme qui a permis la plantation de plus de 3
millions d’arbres d’espèces différentes.
Pour vaincre les feux de forêt qui ravagent régulièrement
la Sierra Gorda, un programme similaire de brigades volontaires
a été mis en place et aucun programme n’est
lancé sans une implication forte des populations locales.
Afin de toucher le plus grand nombre, Pati a aussi créé
un programme de radio hebdomadaire d’une heure qui traite
des problèmes environnementaux de la Sierra Gorda et
dénonce régulièrement les mauvaises pratiques.
On dit que le gouverneur de l’Etat ne le raterait pour
rien au monde. Depuis 5 ans, le mouvement écologique
de la Sierra Gorda a gagné une forte notoriété
notamment grâce à de nombreuses reconnaissances
internationales et en 1997 la région est constituée
en réserve et gagne des financements plus nombreux.
Aujourd’hui, l’ambition de Pati est de conduire
la réserve vers l’autosuffisance économique
grâce à des programmes d’éco-tourisme.
Ou par le gain de crédits carbone liés à
l’application du protocole de Kyoto.
« Je ne me fais en rien l’avocate d’un retour
à l’âge de pierre, mais je souhaite juste
que l’on recentre notre intelligence sur les moyens
de vivre une vie en harmonie avec l’écosystème
» nous confiera Pati. Même si nous doutons qu’un
grand nombre de nos lecteurs décident de tout quitter
pour suivre l’exemple de Pati à la suite de cet
article, la rencontre d’un tel personnage ne peut laisser
indifférent, autant par les questions qu’elles
posent que par les réponses que sa vie incarne.
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