Ray Anderson - Atlanta (Etats-Unis) - 9 Mars 2004

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Changement de Cap à mi-parcours.


Interface est le leader mondial incontesté du marché des dalles de moquette pour bureaux, avec un chiffre d’affaires de plus de 1,3 Milliards de Dollars en 2003. Au-delà de sa mission de commercialiser des produits de haute qualité pour le confort intérieur, il emploie 8 000 personnes à travers le monde (ce qui en fait vivre, indirectement, plus de 25 000) et a été élu, grâce à une étonnante politique sociale, un des 100 meilleures groupes pour lesquelles travailler par le magazine Fortune. Ray Anderson, le fondateur de cet « empire » pourrait être blasé par sa réussite et, à 73 ans, profiter d’une retraite méritée sur les terrains de golfs du sud des Etats-Unis. Au lieu de cela, il s’est lancé, il y a plusieurs années, dans ce qu’il considère comme son plus grand défi : devenir la première entreprise industrielle avec un impact global positif sur l’environnement.

Né dans une petite bourgade de Géorgie, cet ancien joueur de football Américain fonde en 1973 sa société de fabrication de moquettes. En 15 ans, Interface devient un champion industriel présent dans 110 pays avec des usines aux 4 coins des Etats-Unis, d’Europe et même en Chine. Mais en 1994, quelques clients commencent à demander ce qui est fait pour l’environnement. À quelques jours de la première réunion organisée pour y répondre, on demande à Ray d’intervenir pour conclure les débats. « Je n’avais aucune idée de ce que j’allais leur dire, aucune vision à part celle d’obéir à la loi et aux réglementations et j’étais donc très réticent à l’idée de répondre à cette invitation ».

Par un invraisemblable concours de circonstances, il reçoit à ce moment précis le livre de l’écologiste Paul Hawken (lire son portrait), intitulé The Ecology of Commerce. « Et là, ce fut comme si une flèche m’avait traversé le cœur, ce livre a réellement changé ma vie ». Paul y décrit l’assèchement de la plus grande nappe phréatique du centre des Etats-Unis, la perte chaque année de 25 milliards de tonnes de terres arables (équivalent à la superficie de terres agricoles australienne !), la disparition de vastes surfaces de forêts vierges au Brésil et en Indonésie, l’extinction des espèces à un rythme 10 000 fois plus rapide qu’avant 1850 et l’augmentation de la population mondiale de 90 Millions d’êtres humains chaque année. En utilisant la métaphore de l’Ile Saint Mathieu, il en conclut que notre empreinte écologique globale dépasse largement la capacité d’absorption de la Terre et qu’il faut vite y remédier.

À cette époque, Interface extrait 600 milliards de tonnes de matériaux chaque année pour sa production, dont 2/3 de non-renouvelables comme le pétrole (le nylon pour faire la moquette en est issu), le charbon ou le gaz naturel. Sans aucune mesure d’économie ni de matériaux, ces ressources fossiles sont brûlées et transformées en dioxyde de carbone, contribuant ainsi lourdement au réchauffement climatique. Ray s’approprie rapidement la vision de Paul Hawken et fait son premier discours à cette fameuse réunion. Il s’engage avec une équipe de choc à rendre l’activité d’Interface totalement soutenable d’ici 2020 et à devenir l’un des modèles de la prochaine Révolution Industrielle. Cela signifie cesser d’émettre des gaz à effet de serre, ne plus produire aucun déchet solide ou liquide, fonctionner intégralement aux énergies renouvelables (solaire et éolien) et passer petit à petit à une économie de service où l’on louerait l’usage de la moquette plutôt que d’acheter de la matière.

Il intervient à toutes les étapes de son activité : le design du produit, son conditionnement et sa durée de vie, les matériaux utilisés, le processus de fabrication, les transports, le recyclage, la collaboration avec ses fournisseurs et même pour ses employés, une rémunération variable indexée sur les progrès effectués dans ces domaines. Malgré de nombreuses difficultés, ses résultats sont impressionnants puisque depuis 1994, les émissions de gaz à effet de serre ont diminué de 31 % (alors que la société a presque doublé en taille), les besoins en matériaux sont restés stables (c’est-à-dire que l’on a produit 60% plus avec la même quantité de matériaux) et les énergies renouvelables sont passées à 12% du bouquet énergétique. Et cela, en faisant plus de 80 Millions de Dollars d’économie !

Grâce à cette incroyable volonté et un engagement ferme dans la durée, Interface est un peu devenu le symbole de changement de paradigme, celui qui réconcilie le formidable pouvoir de l’industrie avec les préoccupations de la société civile. Il nous rappelle qu’Apollo 11, le vaisseau transportant Neil Armstrong et Buzz Aldrin, s’est posé sur la lune après avoir suivi une mauvaise trajectoire plus de 90% de son parcours. Ray, capitaine du vaisseau Interface, a depuis été récompensé par de très nombreux prix et encensé par les ONG environnementales les plus radicales. Il conclut notre entrevue en nous confiant que « le chemin est encore long pour remplir nos objectifs mais (que) nous regardons désormais dans la bonne direction ».


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