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Changement de Cap à mi-parcours.
Interface est le leader mondial incontesté du marché
des dalles de moquette pour bureaux, avec un chiffre d’affaires
de plus de 1,3 Milliards de Dollars en 2003. Au-delà
de sa mission de commercialiser des produits de haute qualité
pour le confort intérieur, il emploie 8 000 personnes
à travers le monde (ce qui en fait vivre, indirectement,
plus de 25 000) et a été élu, grâce
à une étonnante politique sociale, un des 100
meilleures groupes pour lesquelles travailler par le magazine
Fortune. Ray Anderson, le fondateur de cet « empire
» pourrait être blasé par sa réussite
et, à 73 ans, profiter d’une retraite méritée
sur les terrains de golfs du sud des Etats-Unis. Au lieu de
cela, il s’est lancé, il y a plusieurs années,
dans ce qu’il considère comme son plus grand
défi : devenir la première entreprise industrielle
avec un impact global positif sur l’environnement.
Né dans une petite bourgade de Géorgie, cet
ancien joueur de football Américain fonde en 1973 sa
société de fabrication de moquettes. En 15 ans,
Interface devient un champion industriel présent dans
110 pays avec des usines aux 4 coins des Etats-Unis, d’Europe
et même en Chine. Mais en 1994, quelques clients commencent
à demander ce qui est fait pour l’environnement.
À quelques jours de la première réunion
organisée pour y répondre, on demande à
Ray d’intervenir pour conclure les débats. «
Je n’avais aucune idée de ce que j’allais
leur dire, aucune vision à part celle d’obéir
à la loi et aux réglementations et j’étais
donc très réticent à l’idée
de répondre à cette invitation ».
Par un invraisemblable concours de circonstances, il reçoit
à ce moment précis le livre de l’écologiste
Paul Hawken (lire
son portrait), intitulé The Ecology of Commerce.
« Et là, ce fut comme si une flèche m’avait
traversé le cœur, ce livre a réellement
changé ma vie ». Paul y décrit l’assèchement
de la plus grande nappe phréatique du centre des Etats-Unis,
la perte chaque année de 25 milliards de tonnes de
terres arables (équivalent à la superficie de
terres agricoles australienne !), la disparition de vastes
surfaces de forêts vierges au Brésil et en Indonésie,
l’extinction des espèces à un rythme 10
000 fois plus rapide qu’avant 1850 et l’augmentation
de la population mondiale de 90 Millions d’êtres
humains chaque année. En utilisant la métaphore
de l’Ile Saint Mathieu, il en conclut que notre empreinte
écologique globale dépasse largement la capacité
d’absorption de la Terre et qu’il faut vite y
remédier.
À cette époque, Interface extrait 600 milliards
de tonnes de matériaux chaque année pour sa
production, dont 2/3 de non-renouvelables comme le pétrole
(le nylon pour faire la moquette en est issu), le charbon
ou le gaz naturel. Sans aucune mesure d’économie
ni de matériaux, ces ressources fossiles sont brûlées
et transformées en dioxyde de carbone, contribuant
ainsi lourdement au réchauffement climatique. Ray s’approprie
rapidement la vision de Paul Hawken et fait son premier discours
à cette fameuse réunion. Il s’engage avec
une équipe de choc à rendre l’activité
d’Interface totalement soutenable d’ici 2020 et
à devenir l’un des modèles de la prochaine
Révolution Industrielle. Cela signifie cesser d’émettre
des gaz à effet de serre, ne plus produire aucun déchet
solide ou liquide, fonctionner intégralement aux énergies
renouvelables (solaire et éolien) et passer petit à
petit à une économie de service où l’on
louerait l’usage de la moquette plutôt que d’acheter
de la matière.
Il intervient à toutes les étapes de son activité
: le design du produit, son conditionnement et sa durée
de vie, les matériaux utilisés, le processus
de fabrication, les transports, le recyclage, la collaboration
avec ses fournisseurs et même pour ses employés,
une rémunération variable indexée sur
les progrès effectués dans ces domaines. Malgré
de nombreuses difficultés, ses résultats sont
impressionnants puisque depuis 1994, les émissions
de gaz à effet de serre ont diminué de 31 %
(alors que la société a presque doublé
en taille), les besoins en matériaux sont restés
stables (c’est-à-dire que l’on a produit
60% plus avec la même quantité de matériaux)
et les énergies renouvelables sont passées à
12% du bouquet énergétique. Et cela, en faisant
plus de 80 Millions de Dollars d’économie !
Grâce à cette incroyable volonté et un
engagement ferme dans la durée, Interface est un peu
devenu le symbole de changement de paradigme, celui qui réconcilie
le formidable pouvoir de l’industrie avec les préoccupations
de la société civile. Il nous rappelle qu’Apollo
11, le vaisseau transportant Neil Armstrong et Buzz Aldrin,
s’est posé sur la lune après avoir suivi
une mauvaise trajectoire plus de 90% de son parcours. Ray,
capitaine du vaisseau Interface, a depuis été
récompensé par de très nombreux prix
et encensé par les ONG environnementales les plus radicales.
Il conclut notre entrevue en nous confiant que « le
chemin est encore long pour remplir nos objectifs mais (que)
nous regardons désormais dans la bonne direction ».
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