Denis Meadows - Durham (Etats-Unis) - 3 Mars 2004

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L'homme qui avait vu les limites...


C’est au beau milieu de la forêt dense du New Hampshire, à 5 minutes de l’Université où il effectue ses recherches, dans une maison tout en bois que nous avons rencontré cet homme que beaucoup considèrent comme l’un des pères du mouvement écologique mondial. Raconter la vie et l’oeuvre de Dennis sans raconter celle de sa femme Dona, récemment décédée, serait difficilement justifiable tant leurs travaux et leurs recherches étaient liées.

Étudiants, ils sont tous deux férus de Sciences. Dennis, suite un stage a la Commission de l’Energie Atomique Américaine, décide de ne pas devenir chimiste mais souhaite rejoindre la région de Boston où sa femme Donna effectue un doctorat en Biophysique à Harvard. Il rejoint l’équipe d’un professeur avant-gardiste du MIT, Jay Forester, qui travaille sur les prémisses de la modélisation des systèmes, s’appuyant sur les progrès récents de l’informatique pour le calcul.

Mais leur vie bascule lors d’un voyage qu’ils effectuent une fois leur diplôme en poche. Ils décident de rallier Londres au Sri Lanka en voiture. Comme l’écrit Donna dans ses mémoires que Dennis nous a transmis, « J’ai commencé le voyage comme un enfant de l’ère Spoutnik, une techno optimiste convaincue (...). Je pensais que la science pouvait résoudre tous les problèmes. Nous n’avons pas eu à rouler très longtemps vers l’Est pour rencontrer des problèmes que mon spectromètre à résonnante magnétique nucléaire ne pouvait resoudre... » Confronté aux scènes de pauvreté, aux enfants mal nourris, aux maisons effondrées suite à des catastrophes naturelles, à l’ érosion des sols et à la déforestation, le jeune couple de scientifiques voit ses certitudes vaciller. Ils sont aussi émerveillés par l’accueil des familles et deviennent plus intéressés par les modes de vie des habitants que par la grimpette de sommets célèbres.

Ils reviennent changés en 1970, dans un pays qui envoie des astronautes sur la lune et bombarde secrètement le Cambodge. Alors qu’ils visitent leurs familles dans le Midwest, ils ne comprennent pas pourquoi tout le monde a besoin d’autant de choses...

Peu de temps après, le couple est contacté par un club qu’ils considèrent, du haut de leur trente ans, comme un « cercle de vieux fumeurs de cigares, blancs et riches » fondé par Aurélio Peccei, un industriel italien polyglotte et ancien resistant, dont l’obsession est d’apporter une vision de long terme au débat public.

Le club assigne alors à une équipe de jeunes scientifiques passionnés, réunis autour du couple Meadows, la tâche de définir la « problématique » mondiale. Le travail du groupe consiste à mesurer l’impact des activités humaines sur l’environnement et ses conséquences sur notre planète et ce, en utilisant pour la première fois la puissance de calcul vertigineuse d’un ordinateur. Le travail du groupe va durer plusieurs mois afin de récolter et modéliser des données fiables.

Le résultat publié en 1973 est un choc d’une portée mondiale, la première remise en cause du concept de croissance, le livre « Limits to Growth » mal traduit en français par « Halte a la Croissance » fait l’effet d’un boulet de canon dans la forteresse unanime des économistes sur les bienfaits de la croissance. La publication, qui initialement était dédiée à un groupe restreint de chercheurs passionnés, fait le tour du monde. Grands patrons, politiques, banquiers, décideurs économiques et puissants médias sont choqués par les conclusions du club de Rome. « La croissance exponentielle de notre consommation de ressources, disent-ils, expliquée par une croissance exponentielle de la population ainsi que de la consommation individuelle, ne peut être supporté dans un monde qui, pour la première fois photographié de l’espace, se révèle fini, tragiquement limité ».

Colloques, conférences de presse et reportages dans les médias internationaux se suivent et le couple est attaqué par de nombreux « experts » dénonçant les fondements du modèle. Même en considérant les prévisions optimistes de croissance de la population ainsi que les plus pessimistes concernant le développement économique, les conclusions sont identiques : la Terre ne peut pas indéfiniment supporter des activités toujours plus polluantes. Il faut passer à un autre mode de développement, plus respectueux de l’environnement, et ce très rapidement.

Interrogé trente ans après dans cette maison qu'il habite pour être cohérent avec son discours et "faire partie de la solution", Dennis Meadows continue de croire que notre mode de vie nous rapproche dangereusement du mur, mais il pense qu’une solution est possible. Reconnu désormais pour avoir le premier soulevé les grands enjeux auquels nous allons devoir rapidement répondre, Denis nous confie que la solution passera par beaucoup plus de changements dans nos comportements et nos valeurs, que par l’innovation et les nouvelles technologies. Bref, une version moderne de l’adage « L’argent ne fait pas le Bonheur ! »...


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