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L'homme
qui avait vu les limites...
C’est au beau milieu de la forêt dense du New
Hampshire, à 5 minutes de l’Université
où il effectue ses recherches, dans une maison tout
en bois que nous avons rencontré cet homme que beaucoup
considèrent comme l’un des pères du mouvement
écologique mondial. Raconter la vie et l’oeuvre
de Dennis sans raconter celle de sa femme Dona, récemment
décédée, serait difficilement justifiable
tant leurs travaux et leurs recherches étaient liées.
Étudiants, ils sont tous deux férus de Sciences.
Dennis, suite un stage a la Commission de l’Energie
Atomique Américaine, décide de ne pas devenir
chimiste mais souhaite rejoindre la région de Boston
où sa femme Donna effectue un doctorat en Biophysique
à Harvard. Il rejoint l’équipe d’un
professeur avant-gardiste du MIT, Jay Forester, qui travaille
sur les prémisses de la modélisation des systèmes,
s’appuyant sur les progrès récents de
l’informatique pour le calcul.
Mais leur vie bascule lors d’un voyage qu’ils
effectuent une fois leur diplôme en poche. Ils décident
de rallier Londres au Sri Lanka en voiture. Comme l’écrit
Donna dans ses mémoires que Dennis nous a transmis,
« J’ai commencé le voyage comme un enfant
de l’ère Spoutnik, une techno optimiste convaincue
(...). Je pensais que la science pouvait résoudre tous
les problèmes. Nous n’avons pas eu à rouler
très longtemps vers l’Est pour rencontrer des
problèmes que mon spectromètre à résonnante
magnétique nucléaire ne pouvait resoudre...
» Confronté aux scènes de pauvreté,
aux enfants mal nourris, aux maisons effondrées suite
à des catastrophes naturelles, à l’ érosion
des sols et à la déforestation, le jeune couple
de scientifiques voit ses certitudes vaciller. Ils sont aussi
émerveillés par l’accueil des familles
et deviennent plus intéressés par les modes
de vie des habitants que par la grimpette de sommets célèbres.
Ils reviennent changés en 1970, dans un pays qui envoie
des astronautes sur la lune et bombarde secrètement
le Cambodge. Alors qu’ils visitent leurs familles dans
le Midwest, ils ne comprennent pas pourquoi tout le monde
a besoin d’autant de choses...
Peu de temps après, le couple est contacté par
un club qu’ils considèrent, du haut de leur trente
ans, comme un « cercle de vieux fumeurs de cigares,
blancs et riches » fondé par Aurélio Peccei,
un industriel italien polyglotte et ancien resistant, dont
l’obsession est d’apporter une vision de long
terme au débat public.
Le club assigne alors à une équipe de jeunes
scientifiques passionnés, réunis autour du couple
Meadows, la tâche de définir la « problématique
» mondiale. Le travail du groupe consiste à mesurer
l’impact des activités humaines sur l’environnement
et ses conséquences sur notre planète et ce,
en utilisant pour la première fois la puissance de
calcul vertigineuse d’un ordinateur. Le travail du groupe
va durer plusieurs mois afin de récolter et modéliser
des données fiables.
Le résultat publié en 1973 est un choc d’une
portée mondiale, la première remise en cause
du concept de croissance, le livre « Limits to Growth
» mal traduit en français par « Halte a
la Croissance » fait l’effet d’un boulet
de canon dans la forteresse unanime des économistes
sur les bienfaits de la croissance. La publication, qui initialement
était dédiée à un groupe restreint
de chercheurs passionnés, fait le tour du monde. Grands
patrons, politiques, banquiers, décideurs économiques
et puissants médias sont choqués par les conclusions
du club de Rome. « La croissance exponentielle de notre
consommation de ressources, disent-ils, expliquée par
une croissance exponentielle de la population ainsi que de
la consommation individuelle, ne peut être supporté
dans un monde qui, pour la première fois photographié
de l’espace, se révèle fini, tragiquement
limité ».
Colloques, conférences de presse et reportages dans
les médias internationaux se suivent et le couple est
attaqué par de nombreux « experts » dénonçant
les fondements du modèle. Même en considérant
les prévisions optimistes de croissance de la population
ainsi que les plus pessimistes concernant le développement
économique, les conclusions sont identiques : la Terre
ne peut pas indéfiniment supporter des activités
toujours plus polluantes. Il faut passer à un autre
mode de développement, plus respectueux de l’environnement,
et ce très rapidement.
Interrogé trente ans après dans cette maison
qu'il habite pour être cohérent avec son discours
et "faire partie de la solution", Dennis Meadows
continue de croire que notre mode de vie nous rapproche dangereusement
du mur, mais il pense qu’une solution est possible.
Reconnu désormais pour avoir le premier soulevé
les grands enjeux auquels nous allons devoir rapidement répondre,
Denis nous confie que la solution passera par beaucoup plus
de changements dans nos comportements et nos valeurs, que
par l’innovation et les nouvelles technologies. Bref,
une version moderne de l’adage « L’argent
ne fait pas le Bonheur ! »...
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