Maqsood Sinha et Iftekar Enayetullah - Dacca (Bangladesh) - 13 Novembre 2003

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Iftekar Enayetullah



Maqsood Sinha

Chercheurs d'Or Vert


Parmi les problèmes que créent les nouveaux modes de consommation et l’explosion démographique, le moins sexy est, de loin, celui des déchets. Ne vous bouchez pas le nez tout de suite, car au Bangladesh, décidemment beau réservoir d’entrepreneurs, 2 Géo Trouvetou ont peut-être une idée…

Iftekar Enayetullah et Maqsood Sinha sont deux ingénieurs Bangladais originaires de Dacca qui ont vu leur ville sombrer sous des montagnes de déchets depuis 20 ans… La raison en est simple, la population est passée de 2 à 11 Millions d’habitants en 25 ans et la densité atteint parfois 15 000 habitants au km2, résultat d’un exode rural massif. Par conséquent, 3 500 tonnes de déchets sont générées chaque jour et finissent dans le meilleur des cas à la décharge, dans le pire, dans les fleuves ou au milieu des rues de la ville.

Mais face à ce fléau, le Bangladesh a un avantage que les pays industrialisés n’ont plus, 80 % de ses déchets sont organiques. N’ayant pas encore subi les ravages de l’emballage à tout va, 8 kilos des poubelles de Dacca sur 10 sont composés de pelures de légumes, de reste de riz ou de peaux de fruits. Et cette matière est utilisable, on peut en fabriquer de l’engrais biologique !

C’est avec cette idée en tête qu’en 1995, nos deux ingénieurs ont fait la tournée des administrations pour tenter de convaincre les autorités du bien fondé d’une telle stratégie… Échec, ils entendirent toutes les raisons et leurs contraires pour ne pas mettre sur pied un tel projet jusqu’à ce qu’un de leurs interlocuteurs leur lance comme une boutade : « Si votre idée est tellement innovante, faîtes le vous même ! »

Il ne leur en fallait pas plus. Ils créent Waste Concern avec un statut d’ONG, grâce au soutien d’un philanthrope qui veut voir si ça marche. L’idée est plutôt simple, il faut récolter les déchets en porte à porte, les trier afin de garder les 80% organiques, les faire se décomposer dans un milieu dont le niveau d’oxygène et la température doivent être surveillés rigoureusement. Le niveau d’humidité de l’air de Dacca étant parfaitement adapté, après un mois et demi, on obtient un compost biologique parfaitement utilisable par un agriculteur pour enrichir sa terre.

Les débuts sont laborieux, une seule usine est implantée à raison de quelques tonnes traitées par jour, mais l’énergie du duo de fondateurs est loin d’être épuisée. Pour financer leur activité, ils n’ont nullement l’intention de pratiquer la drague aux bailleurs de fonds ; ils veulent prouver que leur activité est rentable.

Dans un premier temps, le revenu est assuré par les abonnements des foyers « bénéficiaires » de leurs services. D’après leur estimation, seuls 42% des déchets sont ramassés par les services municipaux débordés, ils n’ont donc eu aucun mal à trouver des quartiers, riches ou pauvres, prêts à s’acquitter de près d’un euro par mois pour voir les rues nettoyées.

Mais la principale ressource fut plus difficile à obtenir. Waste Concern n’avait nullement l’intention de se lancer dans la commercialisation d’engrais à travers tout le pays, ce métier nécessitant un réseau de vendeurs et un fonds de départ qu’ils étaient loin de réunir. Pour trouver un débouché à leur compost, il fallait donc convaincre une société spécialisée dans la vente d’engrais classiques, chimiques à souhait… Le patron de la principale société bangladaise, âgé de 75 ans, n’avait pas l’intention de se laisser convaincre par cette nouvelle filière jusqu’à ce qu’il reçoive un panier de fruits et légumes issus de l’agriculture biologique. Suite à un « excellent » repas, il fut convaincu de laisser une chance aux deux énergumènes qui avaient décidemment tout essayé pour le convaincre…

Le succès fut au-delà de leur espérance, non seulement la société Alfa Agro leur achète désormais l’intégralité de leur compost, mais leur réclame d’augmenter massivement leur production car les paysans se plaignent de la rareté de ce nouveau produit. Rien d’étonnant selon Iftekar Enayetullah, car leur compost, contrairement aux engrais classiques issus du pétrole, permet de nourrir le sol et de le revitaliser en matière organique. Les rendements sont ainsi meilleurs et le prix de revient reste plus faible que l’engrais chimique. Le paysan y trouve vite son compte. La vente du compost permet aujourd’hui à Waste Concern d’assurer 70 % de son chiffre d’affaires (30% venant de la collecte) mais l’extraordinaire demande du marché agricole leur donne une confiance à toute épreuve.

Aujourd’hui, 5 usines à Dacca et plus de 14 dans le pays traitent chacune entre 3 et 5 tonnes par jour et un projet d’une nouvelle usine de plus de 200 tonnes verra le jour en 2004. A l’avenir, ils souhaitent étendre le modèle Waste Concern à l’étranger et travaillent à l’implantation d’ une usine biogaz. Celle-ci produira de l’électricité à partir des gaz qui s’échappent de la décharge de Dacca et luttera ainsi contre l’effet de serre.

Waste Concern n’a plus rien d’une ONG mais se définit comme une entreprise sociale employant aujourd’hui plus de 100 personnes et dont l’objectif, selon Maqsood Sinha est de « prouver par l’exemple que les déchets sont aussi des ressources ! ».


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Pour en savoir + :

Le site de Waste Concern