Garth Japhet - Johannesburg (Afsud) - 15 Juin 2004

"Gooood Morniiiing South Africa" !!



L’Afrique du Sud, véritable moteur économique du continent est un pays complexe et difficile à appréhender. Miné par les sanctions internationales et divisé par l’apartheid pendant plusieurs décennies, la nation Arc-en-Ciel produit à quelques kilomètres de distance le pire comme le meilleur. Garth Japhet, le fondateur de Soul City en est l'un des exemples les plus frappants. Grâce à un discours innovant, jeune et non-moralisateur, il sensibilise la population aux grands enjeux sanitaires via les principaux médias. Histoire d’un médecin volontaire, devenu homme de communication visionnaire.

Issu d’une famille d’avocats, Garth naît et grandit à Johannesburg. Au moment de choisir son orientation professionnelle et bien que très moyen dans les matières scientifiques, il opte pour des études de médecine. Il exerce quelques années dans une petite ville proche de Durban, mais tout à coup, ressent l’intense besoin de quitter ce relatif confort pour aider là où le besoin est le plus pressant : Soweto. C’est dans cette banlieue regroupant les townships les plus pauvres de Johannesburg que se trouve le plus grand hôpital de l’hémisphère Sud. « Ce que je souhaitais par-dessus tout, en m’installant à Soweto, c’était m’attaquer concrètement aux vrais problèmes de santé sud-africains ».

Maladies chroniques, virus contagieux ou cancers avancés, le jeune idéaliste voit parfois défiler devant lui plus de 100 patients par jour. Ce qui le frappe le plus, ce ne sont ni les diagnostics couperets ni l’état d’extrême pauvreté ou de détresse de ses patients, mais le fait que la majeure partie de ces maladies sont évitables. Malnutrition, absence de connaissances basiques et de prévention simple sont les véritables maux auxquels, en tant que médecin traitant, il ne peut s’attaquer. Fort de ce constat, Garth vit une intense période de doutes, ressent un profond sentiment d’impuissance, pense à maintes reprises à raccrocher son stéthoscope et sombre dans la dépression.

Quelques mois plus tard, lors de la célébration d’un mardi-gras, il a l’idée d’utiliser les trois principaux médias que sont la radio (qui touche 98% de la population), la télé (76%) et la presse (46%) pour faire de la prévention, mais à sa manière. Les milliers d’affiches ou grandes campagnes nationales ont jusqu’ici eu peu d’impact car ils n’atteignent pas assez de personnes et sont délivrées d’une manière sèche et bureaucratique, peu propice à l’apprentissage. Garth va bouleverser cette situation. Il va utiliser les divertissements (sitcoms télé, histoires « parlées » à la radio, dessins et photos papier dans la presse) pour faire passer son message.

En 1994, grâce au soutien financier de l’UNICEF, il produit ses premiers programmes et les vend aux grandes chaînes, stations de radios et groupes de presse. Bien que lancés au beau milieu cette période instable et difficile qui voit l’abolition de l’apartheid et l’accès de Nelson Mandela au pouvoir, le succès est immédiat. Rapidement, le public en redemande et des stars du cinéma ou de ta télévision participent à ce qui est en passe de devenir un véritable phénomène de société.

Ses intrigues et comédies dramatiques, traitant autant de l’asthme que du paludisme, de la malnutrition que du sida, touchent désormais plus de 80% de la population sud-africaine et figurent chaque année parmi les trois meilleures audiences nationales. Déclinés en 9 langues et dialectes, Soul City a depuis 10 ans produit plus de 90 épisodes télé, 300 histoires radios et 35 millions de livrets. Et Soul City suit désormais des projets similaires dans plus de 9 pays d’Afrique Australe.

Les résultats concrets sont très difficiles à quantifier, mais toutes les études menées pour mesurer l’impact des programmes aboutissent aux mêmes conclusions. Soul City est un puissant vecteur de changement dans les comportements. En prenant l’exemple du Sida, qui touche plus de 25% de la population (et plus de 50% des 16-35 ans selon certaines sources), les « lecteurs-auditeurs-téléspectateurs » de Soul City utilisent deux fois plus souvent des préservatifs que la moyenne nationale, luttant ainsi efficacement contre la pandémie.

« Nous fonctionnons comme un hôpital, 20% de nos ressources proviennent de la vente des programmes, 10% d’entreprises privées (sorte de sponsors) et 70% des agences de développement étrangères ». Vulnérable à cause de cette structure, Garth nous confie enfin que la couleur de sa peau est un grand désavantage. Constamment surveillé et ennuyé par le Ministère de la Santé jaloux de son succès, il adopte un profil bas et n’apparaît personnellement dans aucun médium. Ou comment un homme de l’ombre agit plus efficacement ses idées en tête que son stéthoscope à la main…


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