David Green - Berkeley (Etats-Unis) - 31 Janvier 2004

Pilule Bleue ou Pilule Rouge ?



Vous avez été nombreux à être touchés par notre portrait du Dr. V, ce chirurgien indien, fondateur de l’Aravind Eye Hospital, qui a soigné des centaines de milliers d’indiens gratuitement grâce à un modèle particulièrement innovant. Vous vous rappellerez sans doute qu’il produit à très bas coût des lentilles intraoculaires, nécessaires aux opérations de la cataracte, une maladie très répandue sur le sous-continent. Et bien, à l’autre bout du monde, nous avons rencontré David Green, celui par lequel cette aventure a débuté.

David, la quarantaine joyeuse, est le fondateur de Project Impact, une société qui favorise le transfert de technologies médicales des pays développés vers les pays émergents à des prix adaptés. Son objectif est de rendre disponible aux plus pauvres des plus pauvres les derniers remèdes médicaux en respectant tous les brevets mais en produisant sur place, à moindre coût. Comment cet ancien charpentier volontaire a inventé et mis en pratique un modèle ingénieux, efficace, rentable et susceptible de changer le visage du secteur pharmaceutique ?

David est originaire de Pennsylvanie sur la côte Est des Etats-Unis. Plus adepte de l’école buissonnière que des longues et pénibles heures de cours du lycée du village, il quitte l’école à l’âge de 18 ans. Très doué de ces mains, il travaille pendant 3 ans comme charpentier dans le Michigan. À la suite d’intenses séances de méditation qui lui font découvrir « la vraie nature de la réalité », il prend conscience que tout sur cette planète est temporaire... et qu’il veut désormais consacrer son temps à résoudre des problèmes sociaux.

« Si tu ne fais pas partie de la solution, tu fais partie du problème » devient son leitmotiv et il décide de reprendre des études en Sciences Sociales. Refusé par de nombreuses universités, il se tourne vers la seule spécialité qui l’accepte en Master : la santé publique. Son diplôme en poche, il est embauché en Californie par la fondation SEVA pour travailler et financer des projets en Inde. Pendant 8 années, il fait le tour du secteur associatif et acquiert la certitude que le modèle n’a pas d’avenir. Il rencontre le Dr. V et veut créer un modèle viable économiquement et qui ne dépend pas de la générosité des donateurs.

Dans le secteur des lentilles intraoculaires, il prend conscience que seuls 2 ou 3 grandes multinationales contrôlent la technologie grâce à des brevets déposés partout dans le monde. Les lentilles sont vendues autour de 150 à 300 dollars dans les pays riches (car entièrement remboursées par les assurances, qu’elles soient publiques ou privées) et sont bien évidemment hors de prix pour la large majorité des indiens.

Il réunit alors des ophtalmologistes, des scientifiques à la retraite et des chercheurs entre deux postes pour tenter de trouver une manière de produire des lentilles sans casser de brevet. Étrangement, il y parvient assez rapidement et se rend en Inde pour convaincre ses amis de produire localement. Réticents au tout début, David va mettre deux longues années à les convaincre. En 1990 enfin, Aurolab, une société à but non lucratif est créée à Madurai dans le sud de l’Inde et grâce à une main d’œuvre bon marché et une production à grande échelle, les premières lentilles sont vendues à 5 ou 6 dollars pièce.

Désormais, chaque année, 700 000 lentilles sont produites dans les pays emergents pour 350 000 patients souffrants de la cataracte et Aurolab est devenu le 3ème fabricant mondial (en volume). David vient de lancer le même modèle pour les appareils auditifs et rêve de le dupliquer dans quelques mois pour les trithérapies (soins aux séropositifs).

De retour du sommet de Davos lorsque nous l’avons rencontré, David nous confie ses difficultés à se faire comprendre et à convaincre les managers des multinationales traditionnelles. Il est persuadé que son modèle peut être largement dupliqué par des entrepreneurs sociaux à travers le monde. Il fait l’analogie entre le système économique actuel et la matrice du célèbre film : « le souci est que ces sociétés sont dessinées pour maximiser le retour sur investissement et que même avec de la bonne volonté, elles sont très limitées car elles doivent satisfaire leurs actionnaires, je leur propose de prendre l'autre pilule...».

L’objectif final de cette nouvelle approche sera de rendre les technologies et les remèdes accessibles au plus grand nombre et à moindre coût, sans marketing et sans royalties à verser. « Quand il y a une volonté, il y a un chemin ». David le prouve chaque jour et nous a profondément donné envie d’agir dans son sens.


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