Muhammad Yunus - Dacca (Bangladesh) - 12 Novembre 2003

"Vers un Monde sans pauvreté"



Chacun de nous a son modèle, son héros, un homme ou une femme qu'il rêve d’approcher au moins une fois dans sa vie. Nous avons rencontré le nôtre. Né du constat qu’encore beaucoup de nos proches ignoraient son histoire, notre voyage a un sens si nous contribuons, à notre échelle, à le faire connaître. Muhammad Yunus est le créateur du concept de micro-crédit, une des plus importantes innovations du 20ème siècle en matière de lutte contre la pauvreté et il rêve, à l’horizon 2005, d’améliorer la vie quotidienne de 100 millions de personnes à travers le monde. Comment ce petit professeur d’économie (il ne mesure qu'1m65) a créé en quelques années un phénomène susceptible selon lui de « renvoyer la pauvreté dans les musées » ?

Troisième fils d’une famille de 9 enfants, Muhammad Yunus est né dans le Bengale Occidental en 1940. À 20 ans, brillant étudiant, il a la possibilité d’aller passer son doctorat aux Etats-Unis sur le thème « l’économie et le développement ». Il y passera 7 ans de sa vie, devenant professeur d’économie à l’Université du Colorado.

En 1971, pourtant, lors de la naissance du Bangladesh se séparant du Pakistan, il décide de rentrer et obtient un poste de responsable du Département d’Economie à l’Université de Chittagong, la 2ème ville du nouvel Etat indépendant. Trois ans après son retour, une terrible famine s’abat sur le pays, tuant 1,5 million de personnes. Cet événement va changer sa vie : « Les gens mourraient de faim dans la rue et moi je continuais à enseigner d’élégantes théories économiques sans aucune prise avec la réalité. J’ai commencé à comprendre qu’il était très arrogant de prétendre avoir des réponses en restant dans une salle de classe et ai commencé à étudier sur le terrain».

Il se rend dans le village de Jobra, juste à côté de son Université et commence à discuter avec ses habitants. Rapidement, il prend conscience que de nombreuses femmes sont victimes d'un cercle vicieux dont elles ne peuvent s'échapper. Incapables de s’adresser aux banques traditionnelles (car jugées non solvables), elles sont contraintes d’emprunter 60 Thakas (1 €) à un usurier pour acheter quelques produits le matin, en récupérer 80 de la vente sur les marchés et le soir en rembourser 70. C’est donc le coût prohibitif du capital, si infime soit-il, qui empêche de nombreuses femmes de s’en sortir. Il décide alors, de sa poche, de prêter 850 Thakas (24 €) à 42 femmes parmi les plus pauvres de Jobra. Ces micro-prêts leur suffisent pour, par exemple, acquérir une poule et générer un revenu quotidien de la vente des œufs chaque jour : « l’objectif était de les faire rentrer dans un cycle économique et d’amorcer un changement de mentalité». L’expérience est un succès mais ne satisfait pas encore son ambition grandissante.

Après avoir, en vain, déployé de nombreux efforts pour convaincre les banques locales d’appliquer sa méthode, il décide de monter sa propre structure et duplique le modèle. La Grameen Bank, du mot village en Bengali, naît en 1978 et s’étend rapidement dans 20, 40, 100 villages du district.

Un quart de siècle plus tard, les résultats sont incroyables : la Banque est présente dans 43 000 villages du Bangladesh, a déjà prêté 4 Milliards d’€ à 11 millions de clients dont 94% sont des femmes (plus sûres et responsables que les hommes). Les taux de remboursements sont supérieurs à ceux des banques traditionnelles (de l’ordre de 97 % !) grâce à une organisation en groupes solidaires de 5, chacune des débitrices étant responsables des engagements du groupe vis-à-vis de la Grameen. Le modèle est appliqué désormais dans plus de 45 pays à travers le monde, touche 60 Millions des personnes, dont 27 Millions parmi les plus pauvres (dont le revenu est de moins de 1$/jour). Grâce au micro crédit, 3 emprunteurs sur 4 se sortent d'une situtation de pauvreté, et ce définitivement.

« Je souhaitais juste résoudre un problème local et petit à petit, sans m’en apercevoir, c’est devenu la Grameen Bank ». Pragmatique, humble et volontaire, Muhammad Yunus est aussi une fantastique « usine à idée ».

Depuis 10 ans, il s’est lancé dans d’autres ambitieux projets (assurances maladie, télécommunications…), tous basés sur un souci de résoudre un problème social de manière durable, sans sacrifier la viabilité économique. Les solutions viendront selon lui, des nouveaux « entrepreneurs sociaux ou environnementaux ». Dès qu'il le peut, il exhorte les jeunes à « ne jamais chercher un travail mais à le créer » et reste persuadé que les entreprises à but social sont le meilleur remède contre la pauvreté et seront mieux armées dans le futur que les entreprises traditionelles.

De nombreux admirateurs du modèle Grameen, dont Bill Clinton, considèrent que Muhammad Yunus mériterait un prix Nobel d’économie. Très loin de ces préoccupations, il conclue notre entrevue en nous rappelant que son objectif prioritaire reste d’atteindre ces 100 Millions de personnes touchées, et « qu’ensuite tout sera beaucoup plus facile… ».


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