Dr. Venkataswamy - Madurai (Tamil Nadu/Inde) - 11 Octobre 2003

Le Chirurgien Visionnaire



Govindappa Venkataswamy, surnommé Dr V., est un des chirurgiens indiens les plus reconnus, et on estime qu'entre 150 et 200 000 patients sont passés sous ses mains pour des opérations de la cataracte. Pourtant la première chose qui frappe en le rencontrant est la déformation de ses mains, une arthrose le ronge depuis plus de 50 ans… Son initiative, à l’image de sa vie, nous a laissés admiratifs.

On compte aujourd'hui dans le monde quelque 45 millions de non-voyants et 135 millions de malvoyants, et la cataracte, une maladie due au vieillissement et à des carences alimentaires, est à l'origine de 19 millions de cas de cécité, principalement en Asie et en Afrique. En général, en cas de cataracte liée au vieillissement, on peut procéder à une intervention relativement rapide qui consiste à remplacer le cristallin devenu opaque par une lentille intraoculaire. Cette chirurgie fait toutefois appel à des techniques perfectionnées et à un personnel qualifié et coûte cher. Cette opération, le Dr. V. a trouvé le moyen d’en faire profiter des centaines de milliers de patients gratuitement, à des coûts minimes et selon un modèle largement salué par l’Organisation Mondiale de la Santé.

Fils d’un fermier du sud de l’Inde, il a grandi dans un petit village du Tamil Nadu. À la suite d'études de médecine, il s’engage en 1944 dans l’Armée Britannique afin de participer à l’effort de guerre. De retour en 1947, il assiste à la mort tragique de 3 de ses cousines en couches et décide de faire de l’obstétrique sa spécialité. Une année plus tard, il est victime de très sévères crises d’arthrites déformantes, aussi brutales qu’inexpliquées. Ses membres le font atrocement souffrir et en quelques mois, il se retrouve cloué à un lit d’hôpital sans pouvoir bouger. Ce n’est qu’au bout d’une année qu’il arrive, suite à de fantastiques efforts de rééducation, à se lever seul. De terribles séquelles le poursuivent encore actuellement, ses mains sont difformes, sa démarche difficile et sa souffrance aussi intense que silencieuse.

Incapable alors de pratiquer l’obstétrique, il se forme à la médecine ophtalmique et très rapidement prend en charge la responsabilité du service de soins oculaires de l’hôpital public de Madurai. Malgré son handicap, il devient l’un des meilleurs chirurgiens d’Asie et opère quotidiennement des dizaines de patients. Pendant ces 2 décennies, il se bat pour obtenir des fonds du gouvernement central indien afin de monter des camps mobiles, unique moyen selon lui d’atteindre et de soigner les patients les plus pauvres dans les villages reculés. Cette initiative est une réussite mais ne satisfait pas son ambition grandissante.

Il doit attendre sa retraite forcée en 1976 pour monter une petite structure familiale de 11 lits, l’Aravind Eye Hospital, et appliquer un modèle inédit : ceux qui peuvent payer financent les soins gratuits des plus pauvres. L’hôpital, économiquement indépendant et très rentable, déménage rapidement dans des locaux beaucoup plus spacieux. Les patients affluent, de multiples camps mobiles sont mis en place, des chirurgiens et infirmières sont formés et 2 nouveaux hôpitaux sont inaugurés dans d’autres villes de l’Etat.

Cependant, un problème demeure. Pour réaliser l’opération de la cataracte, les chirurgiens doivent acheter à des prix prohibitifs (autour de 150$) des lentilles aux quelques multinationales américaines se partageant le marché. Il faut donc trouver un moyen de fabriquer ces lentilles en Inde à faible coût. En 1992, David Green, un californien partenaire de l’hôpital déniche et achète les méthodes de fabrication de ces précieuses lentilles. Aurolab, une entité indépendante de l’hôpital est alors créée afin de lancer l’expérience.

Ses résultats, aujourd’hui, sont surprenants. En 2002, 2 500 lentilles sortent chaque jour à des prix unitaires de 5 dollars et sont exportées dans le monde entier, 2 nouveaux hôpitaux ont été construits, un million quatre cent mille patients sont auscultés chaque année, 350 000 sont opérés (30% sont payants, 70% gratuits), un centre de recherche et développement a été créé et 20 à 25 camps sont organisés chaque semaine pour prévenir et soigner dans les zones rurales.

L’hôpital est considéré comme un des meilleurs centres mondiaux d’ophtalmologie devant de nombreux hôpitaux américains et l’OMS en a fait son centre modèle pour la lutte contre la cécité. 10% de tous les ophtalmologistes asiatiques sont venus y suivre des formations, il n’est pas rare d’y croiser des médecins européens, japonais ou américains et, depuis quelques années maintenant, des hôpitaux suivant le même modèle ont été montés au Cambodge, au Népal, en Egypte ou au Malawi.

Lorsque l’on aborde toutes ses réussites, le Dr. V, au crépuscule de sa vie, rappelle humblement tout le chemin qu’il reste à parcourir pour éradiquer la cécité à travers le monde. Il se souvient d’un de ces premiers voyages aux Etats-Unis et conclue avec malice : « J’ai été impressionné par les trésors d’intelligence et d’organisation de Mc Donald’s pour rendre disponibles des hamburgers à bas prix à tous les coins de rues. Pourquoi ne pas déployer les mêmes efforts pour une cause encore plus noble : rendre la vue ? ».


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