Elaben
Bhatt - AhmedAbad (Gujarat/Inde) - 30 Septembre 2003
Femmes, je vous aide
!
Celle
que le quotidien Economic Times of India a désignée comme «
Femme d’Affaires de l’année 2003 » a, dans sa longue
carrière de syndicaliste, longtemps été le pire cauchemar
des autorités locales de son Etat, le Gujarat. Fondatrice il y a plus
de trente ans de SEWA (la Self-Employed Women Association), elle a consacré
sa vie à représenter les centaines de milliers de femmes issues
du secteur informel de l’économie indienne. Malheureusement en
déplacement au moment de notre visite, nous n’avons pu rencontrer
Mme Bhatt mais Nita Patel, qui travaille auprès d’elle a bien
voulu nous raconter son histoire.
Au début des années 70, travaillant en mission pour un syndicat
traditionnel du textile, Elaben Bhatt découvre, au cours de ses enquêtes,
les conditions effroyables de travail des femmes du secteur informel. Ces
femmes, ne déclarant aucune activité, participent pourtant quotidiennement
à la subsistance de leur foyer en vendant dans la rue de nombreux objets
artisanaux ou des produits agricoles. Elles doivent subir, outre le dédain
courant pour cette population « marginale », les extorsions incessantes
de contraventions et de bakchich des policiers, les taux excessifs des prêteurs
et les attaques physiques des vendeurs « légaux ». Bien
résolue à aider ces femmes, Elaben Bhatt décide alors
de créer un syndicat pour les réunir. Nous sommes en 1972, la
bataille s’engage.
Le premier objectif que se fixe SEWA est de tenter d’arracher aux autorités
des licences pour ses vendeuses. À cette époque, seules 400
licences sont données annuellement et uniquement aux hommes. De plus,
aucune nouvelle licence n’a été attribuée depuis
7 ans. Après des longues journées de palabres auprès
des autorités, les licences sont obtenues, mais cette première
victoire ne signifie pas pour autant que les vendeuses aient un espace réservé
pour vendre…
En effet, un banal accident de voiture sert de prétexte à la
fermeture pure et simple à tout nouvel arrivant du marché Manek
Chowk, l’un des plus grands et plus anciens d’Ahmedabad. Comme
souvent dans la région de Ghandi, c’est à la suite d’une
campagne de désobéissance civile menée par Mme Bhatt
que les femmes entrent de force pour établir leurs échoppes
devant des policiers médusés par autant de détermination.
Désormais reconnue au niveau national, elle ne réduit pas ses
efforts et créée, au milieu des années 70, une des premières
banques de micro-crédit. Auparavant, une vendeuse devait emprunter
50 Rupees pour acheter au marché ses produites en gros, vendre dans
la journée, payer de quoi nourrir sa famille et en rembourser à
l’usurier 55 le soir même (10% de taux par jour, record battu
!). La banque, dont le capital est majoritairement tenu par les femmes de
la coopérative, a permis d’offrir des prêts de 500 voire
5 000 Rupees (environ 100 €) à un taux annuel décent à
ces femmes « insolvables ». Pouvant ainsi investir, elles peuvent
devenir de véritables entrepreneurs et augmenter considérablement
leurs revenus de manière durable. Le taux de recouvrement de ces prêts
dépasse tous les taux connus des banques traditionnelles, il est de
97 % ! Aujourd’hui 20 % des 700 000 adhérentes du syndicat possèdent
un compte à la banque SEWA alors qu’elle ne comptait que 4 000
adhérents à sa création.
L’adhésion au syndicat, qui ne coûte que 5 Rupees par an
(10 cents d’€), a eu un énorme impact sur le rôle
social de ces femmes. Dorénavant, certaines apportent les plus hauts
revenus du foyer, les maisons sont achetées au nom de leur mari et
au leur, et les réunions de formation à l’hygiène
ou à la gestion qu’organisent SEWA leur donnent un rôle
clé dans la bonne marche du foyer. D’ailleurs leurs maris plutôt
réticents à la création du syndicat s’empressent
aujourd’hui de leur rappeler ne pas oublier ces cours exclusivement
réservés aux femmes…
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